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13/10/2020

« Je dis qu'il est l'Un et, en même temps, le Néant Éternel »

Extrait de : Jean-Marc Vivenza, L’esprit du saint-martinisme. Louis-Claude de Saint-Martin et la Société des Indépendants, éditions La pierre philosophale, 2020. Chapitre VIII – « Jacob Boehme, le «prince des philosophes divins», premier maître de Louis-Claude de Saint-Martin selon l’Esprit. » (pp.304-306)

 

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« Jacob Boehme, maître incontesté de la vie suressentielle, « aborde avec une souveraine aisance la difficile notion du « sans-fond » (ungrund), l'Essence de toutes les essences, le Néant divin, avec une intensité et une force qui ne se rencontrent chez aucun autre auteur. Le « Rien », ainsi que le « Feu », occupent, dans la théosophie de Boehme, une dimension difficilement descriptible, proprement abyssale, et ce n’est rien moins qu'à s'immerger au sein d'une sorte d'incroyable et audacieux accomplissement métaphysique qu'est invité son lecteur. Les propositions de Jacob Boehme, concernant Dieu, ne manquent pas de posséder une redoutable radicalité :

 

« Je dis qu'il est l'Un et, en même temps, le Néant Éternel ; il n'a ni cause, ni commencement, ni lieu, et il ne possède rien en dehors de lui-même ; il est la volonté de ce qui est sans détermination, il n'est qu'Un en lui-même ; il n'a besoin ni d'espace ni de place ; il s'engendre en lui-même d'éternité en éternité ; il n'a rien qui lui ressemble, et n'a aucun endroit particulier où il réside : l'éternelle sagesse ou intelligence est sa demeure ; il est la volonté de la sagesse et la sagesse est sa révélation[1].»

 

Cependant ce « Néant Éternel », Ce « Rien », explique Jacob Boehme, pour se connaître et se faire connaître, est amené à se manifester, car la libre intuition qu'il a de lui-même porte un nom : Amour. Ceci conduit le génial cordonnier à dire de Dieu que, de par la manifestation de son amour, travaillé par un « désir » qui préside au premier « Verbum fiat », il est :

« Le bien et le mal, le ciel et l'enfer, la lumière et les ténèbres, l'éternité et le temps, le commencement et la fin[2].»

La révélation, du « Néant », constitue donc le véritable principe de la manifestation universelle, car :

« Le désir du Verbe éternel qui est Dieu, est le début de la nature éternelle et le saisissement du Néant en Quelque chose...[3]»

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De ce fait, le grand mystère de la Création, réside bien dans ce processus qui a conduit Dieu, ou « l'intérieur », à se manifester, à s'extérioriser, « avec son Verbe éternellement parlant qui n'est autre que lui-même ». À cet égard, « l'extérieur est un symbole de l'intérieur », c'est-à-dire que notre monde déchu, originellement spirituel, dégradé en une « ténébreuse concrétion » depuis la chute de Lucifer, est, tout à la fois, le Verbe et son oubli, la Lumière et sa radicale négation.

Il y a donc une « compénétration » entre le monde saint et le monde extérieur ou manifesté ; ceci explique que le monde spirituel ne se trouve pas ailleurs, dans le ciel :

« Il ne faut pas penser au sujet des saints anges qu'ils se trouvent tous au-delà des étoiles, hors de ce monde, mais également dans le lieu de ce monde, bien qu'il n'existe pas de lieu dans l'éternité, explique Boehme, le lieu de ce monde et le lieu en dehors de ce monde sont pour eux une seule et même chose[4]. »

On comprend beaucoup mieux, ainsi, pourquoi Boehme, de manière stupéfiante, put affirmer :

« Le ciel est en enfer, et l'enfer dans le ciel, et cependant aucun des deux n'apparaît à l'autre. »

En réalité le cœur de la théosophie boehméenne se situe sans doute dans cette vérité surprenante du point de vue métaphysique :

« Pour Dieu rien n'est près et rien n'est loin, un monde est dans l'autre et tous ne sont pourtant qu'un monde unique ; mais l'un est spirituel, l'autre corporel, de même que le corps et l'âme sont l'un dans l'autre, de même que le temps et l'éternité ne sont qu'une seule chose [...] le Verbe éternellement parlant règne partout... [5]» »

 


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Notes

 

[1] J. Boehme, Mysterium magnum, I, 2.  

[2] Ibid., VIII, 24. 

[3] Ibid., VI, 14. 

[4] 185 Ibid., VIII, 16.  

[5] 186 Ibid., II, 10.  

« La sublime vérité révélée par Jacob Boehme : le cœur de l’homme est le vrai "Ciel" »

Extrait de : Jean-Marc Vivenza, L’esprit du saint-martinisme. Louis-Claude de Saint-Martin et la Société des Indépendants, éditions La pierre philosophale, 2020. Chapitre VIII – « Jacob Boehme, le «prince des philosophes divins», premier maître de Louis-Claude de Saint-Martin selon l’Esprit. » (pp. 298-300)

 

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« Dieu est si près de vous, que la génération de la Trinité Sainte se passe aussi dans votre cœur.

 

« La grande intuition métaphysique de Boehme, est d’avoir compris, ou plus exactement « vu », puisqu’il s’agit d’une capacité visionnaire, que ce qu’il incombe à l’âme c’est de donner « vie », de donner « l’être » et la « vie » au Verbe en nous, ne nous cachant pas le caractère extraordinaire de cette génération qui fait du cœur de l’homme le vrai « Ciel », l’authentique et concret « Ciel spirituel » où prend naissance la Divinité, l’amenant à affirmer :

« Le vrai ciel est partout, même dans le lieu où vous êtes et où vous marchez. Lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu, et qu’il y pénètre au travers de la génération sidérique et charnelle, dès lors il est dans le ciel[1]. »

Si Dieu est voilé, caché, c’est qu’en réalité il est dissimulé dans sa génération, «Dieu est caché dans le centre, dans la génération la plus intérieure[2] », dans la génération invisible se produisant dans le Ciel de l’âme. Dieu naît ! pour audacieuse que soitr cette affirmation, elle n’en est pas moins significative de l’œuvre secrète qui voit l’âme, dans l’absolu mystère, enfanter la Divinité, être la matrice réelle du Divin, ce à quoi s’ajoute cette vérité extraordiniare : la Divinité est engendrée dans l’âme car elle fut toujours engendrée de la sort depuis les origines, elle fut éternellement engendrée par l’effet d’une souveraine substance provenant de sa nature émanée ; la nature divine est issue du « saint élément », du Ciel primordial, de la chair céleste qui est « l’âme immortelle ».

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L’âme n’est donc pas, certes, d’une nature distincte de la Divinité, mais elle est même – et surtout et nous touchons à une vérité ultime absolument extraordinaire propre à la pensée de Jacob Boehme, nous donnant de comprendre en quoi elle put être inacceptable et difficile à admettre pour beaucoup d’observateurs à l’époque, tout en le demeurant à de nombreux égards –, du point de vue du Principe, vivante et d’une semblable essence, origine de la même origine. C’est pourquoi Boehme, se tournant vers chacun d’entre-nous, nous interroge directement et n’hésite pas à nous dire :

« Où veux-tu donc aller chercher Dieu ? Ne le cherche que dans ton âme qui est la nature éternelle, dans laquelle est le divin engendrement[3]. »

Et à ce titre, si l’âme n’est pas différente de la nature éternelle, si la grâce, lui a rendu son vrai pouvoir, son effective capacité matricielle, sa virginité conceptrice, sa pureté sanctifiante, alors il nous est donné d’entendre, enfin, le secret du voyant de Görlitz, l’aspect le plus sublime et le plus élevé de son enseignement théosophique, l’éminent couronnement spirituel de la pensée de celui qui est vraiment le « Père de l’Église intérieure », l’authentique joyau spirituel de sa doctrine, dont on mesure pourquoi il put à ce point bouleverser le Philosophe Inconnu, et qui se résume à cette prodigieuse vérité, nous disant, par ces paroles :

« Dieu est si près de vous, que la génération de la Trinité Sainte se passe aussi dans votre cœur. Toutes les trois personnes, Dieu le Père, le Fils et l’Esprit Saint sont engendrées dans votre cœur[4]. »

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Sachant que par la Sophia, la Sagesse, qui est l’expression du monde divin, sa force d’auto-révélation, se déroule en nous à chaque instant de nos vies l’œuvre du commencement, présente visiblement dans l’action divine créatrice, « co-éternelle » et unie à Dieu, nous donnant de redire avec le Roi Salamon :

« Le Seigneur m’a possédée au commencement de sa voie, avant ses œuvres les plus anciennes. Dès l’éternité je fus établie, dès le commencement, dès avant les origines de la terre. Quand il n’y avait pas d’abîmes j’ai été enfantée … » (Proverbes, VIII, 22-24.) »

 

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Notes

 

[1] J. Boehme, L’Aurore Naissante¸ XIX, 24.

[2] Ibid, XIX, 65.

[3] J.Boehme, Confessions, Fayard, 1973,  ch. 6, VII, § 16, p. 52.

[4] Jacob Boehme, L’Aurore Naissante, X, 58.

«La doctrine de Boehme est pour Saint-Martin le sommet des connaissances métaphysiques»

Extrait de : Jean-Marc Vivenza, L’esprit du saint-martinisme. Louis-Claude de Saint-Martin et la Société des Indépendants, éditions La pierre philosophale, 2020. Chapitre VIII – « Jacob Boehme, le «prince des philosophes divins», premier maître de Louis-Claude de Saint-Martin selon l’Esprit. » (pp.314-318)

 

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« Jacob Boehme a levé presque tous les voiles en développant à notre esprit les sept formes de la nature, jusque dans la racine éternelle des êtres […] »

 

« Saint-Martin insista auprès de tous ses intimes sur l'exigence de lenteur que nécessite la « voie » spirituelle, et, surtout, sur la nature « expérimentale » des objets évoqués. Saint-Martin, depuis son séjour de Strasbourg, ne dissimulait plus du tout son enthousiasme à l'égard du génial cordonnier de Görlitz, et considérait ouvertement sa doctrine comme un sommet inégalé de connaissance spirituelle et métaphysique. Il déclarera même sans détour dans un livre : « Un auteur allemand, dont j'ai traduit et publié les deux premiers ouvrages, savoir "l'Aurore naissante" et les "Trois principes", peut suppléer amplement à ce qui manque dans les miens. » (Le Ministère de l'homme-esprit.)

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Ceci explique sans doute pourquoi Saint-Martin soutenait dans Le Ministère de l’homme-esprit :

 

« (…) Cet auteur allemand, mort depuis près de deux cents ans, nommé Jacob Boehme, et regardé dans son temps comme le prince des philosophes divins, a laissé dans ses nombreux écrits, qui contiennent près de trente traités différents, des développements extraordinaires et étonnants sur notre nature primitive ; sur la source du mal ; sur l'essence et les lois de l'univers ; sur l'origine de la pesanteur ; sur ce qu'il appelle les sept roues ou les sept puissances de la nature ; sur l'origine de l'eau ; (origine confirmée par la chimie, qui enseigne que l'eau est un corps brûlé) ; sur le genre de la prévarication des anges de ténèbres ; sur le genre de celle de l'homme ; sur le mode de réhabilitation que l'éternel amour a employé pour réintégrer l'espèce humaine dans ses droits, etc.

Je croirai rendre un service au lecteur en l'engageant à faire connaissance avec cet auteur ; mais en l'invitant surtout à s'armer de patience et de courage pour n'être pas rebuté par la forme peu régulière de ses ouvrages, par l'extrême abstraction des matières qu'il traite, et par la difficulté qu'il avoue lui-même avoir eu à rendre ses idées, puisque la plupart des matières en question n'ont point de noms analogues dans nos langues connues.

Le lecteur y trouvera que la nature physique et élémentaire actuelle n'est qu'un résidu et une altération d'une nature antérieure, que l'auteur appelle l'éternelle nature[1] ; que cette nature actuelle formait autrefois dans toute sa circonscription, l'empire et le trône d'un des princes angéliques, nommé Lucifer ; que ce prince ne voulant régner que par le pouvoir du feu et de la colère, et mettre de côté le règne de l'amour et de la lumière divine, qui aurait dû être son seul flambeau, enflamma toute la circonscription de son empire ; que la sagesse divine opposa à cet incendie une puissance tempérante et réfrigérante qui contient cet incendie sans l'éteindre, ce qui fait le mélange du bien et du mal que l'on remarque aujourd'hui dans la nature ; que l'homme formé à la fois du principe de feu, du principe de la lumière, et du principe quintessentiel de la nature physique ou élémentaire, fut placé dans ce monde pour contenir le roi coupable et détrôné ; que cet homme, quoiqu'il eût en soi le principe quintessentiel de la nature élémentaire, devait le tenir comme absorbé dans l'élément pur qui composait alors sa forme corporelle ; mais que se laissant plus attirer par le principe temporel de la nature que par les deux autres principes, il en a été dominé, au point de tomber dans le sommeil, comme ledit Moïse ; que se trouvant bientôt surmonté par la région matérielle de ce monde, il a laissé, au contraire, son élément pur s'engloutir et s'absorber dans la forme grossière qui nous enveloppe aujourd'hui ; que par là il est devenu le sujet et la victime de son ennemi ; que l'amour divin qui se contemple éternellement dans le miroir de sa sagesse, appelée par l'auteur, la vierge SOPHIE, a aperçu dans ce miroir, dans qui toutes les formes sont renfermées, le modèle et la forme spirituelle de l'homme ; qu'il s'est revêtu de cette forme spirituelle, et ensuite de la forme élémentaire elle-même, afin de présenter à l'homme, l'image de ce qu'il était devenu et le modèle de ce qu'il aurait dû être ; que l'objet actuel de l'homme sur la terre est de recouvrer au physique et au moral sa ressemblance avec son modèle primitif ; que le plus grand obstacle qu'il y rencontre est la puissance astrale et élémentaire qui engendre et constitue le monde, et pour laquelle l'homme n'était point fait ; que l'engendrement actuel de l'homme est un signe parlant de cette vérité, par les douleurs que dans leur grossesse les femmes éprouvent dans tous leurs membres, à mesure que le fruit se forme en elles, et y attire toutes ces substances astrales et grossières ; que les deux teintures, l'une ignée et l'autre aquatique, qui devaient être réunies dans l'homme et s'identifier avec la sagesse ou la SOPHIE, (mais qui maintenant sont divisées), se recherchent mutuellement avec ardeur, espérant trouver l'une dans l'autre cette SOPHIE qui leur manque, mais ne rencontrent que l'astral qui les oppresse et les contrarie ; que nous sommes libres de rendre par nos efforts à notre être spirituel, notre première image divine, comme de lui laisser prendre des images inférieures désordonnées et irrégulières, et que ce sont ces diverses images qui feront notre manière d'être, c'est-à-dire, notre gloire ou notre honte dans l'état à venir, etc.

Lecteur, si tu te détermines à puiser courageusement dans les ouvrages de cet auteur, qui n'est jugé par les savants dans l'ordre humain, que comme un épileptique, tu n'auras sûrement pas besoin des miens. » (Le Ministère de l’homme-esprit).

La conclusion de Saint-Martin au sujet de l’importance à ses yeux de Jacob Boehme, ne fait donc place à aucune contestation :

« Jacob Boehme a levé presque tous les voiles en développant à notre esprit les sept formes de la nature, jusque dans la racine éternelle des êtres […] » (Ibid.) »

 

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Notes

 

[1] Pour mieux évaluer encore l’importance accordée à la pensée de Boehme sur cette question de l’origine de la « nature éternelle » et son rapport à la formation des « corps célestes », par Saint-Martin, il suffit de lire avec attention le long rappel qui se trouve inséré dans Le Ministère de l’homme-esprit sur ce sujet.

Voir Appendice II de l’ouvrage de Jean-Marc Vivenza : « Exposé de Saint-Martin sur le « système universel », son origine et sa finalité, selon les lois mises en lumière par Jacob Boehme ».  

14/10/2019

Actions de grâce d’une âme pénitente, pour les souffrances amères & pour la mort de Jésus-Christ

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« Ô Amour divin le plus profond en Jésus-Christ ! Je te rends louange et grâces de ce que tu m’as délivré du feu tourmentant, et que tu t’es livré toi-même par ta grâce et par ton amour dans mon feu de tourment, et m’as transformé en un feu d’amour  et une lumière divine. Tu as mis ta puissance et ta vertu en mon essence au-dedans de mon corps et de mon âme, et tu t’es donné à moi en propriété ; qui plus est, tu m’as racheté par ta grâce avec le trésor de ton sang précieux, pour être moi-même à toi : c’est ce dont je te rends des grâces éternelles, te suppliant, Ô amour éternel répandu, au Nom très-saint de Jésus, qu’il te plaise de m’introduire derechef, lorsque cette vie terrestre me sera ôtée, dans ma première patrie, dans le Paradis dans lequel mon père Adam a habité dans son innocence ; ensevelis mon corps et mon âme dans le repos divin. Cependant, fais-moi la grâce de vivre dans une continuelle pénitence et renoncement à ma propre volonté terrestre ; donne-moi aussi une constante persévérance, de sorte que dans cet état je puisse produire beaucoup de bons fruits, jusqu’à ce que tu me réintroduises dans le repos, dans ma véritable patrie, dans le pays promis, découlant de lait et de miel de la vertu divine. Amen. »

Jacob Boehme, De la sainte prière.

 

14/10/2018

Le divin engendrement de Dieu dans l’âme

A lire :

 

Le mystère de l’Église intérieure ou la « naissance » de Dieu dans l’âme

Le cœur métaphysique et ontologique

de la doctrine saint-martiniste

Jean-Marc Vivenza

 

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« Dieu n’est rien. Dieu est vraiment néant, et s’il est quelque chose,

Il ne l’est qu’en moi seul, quand il m’élit pour Lui. »

 

Angélius Silesius, Pèlerin chérubinique (I, § 200)

 

Extrait d’un texte de Jacob Boehme, mentionné au chap. III de l’ouvrage, portant sur « La naissance de la Divinité dans l’âme à partir du "néant" » :

 

« Mais nous ne pouvons dire par contre que le monde extérieur est Dieu ou le Verbe parlant, lequel existe en soi sans avoir besoin d’un tel être, pas plus que ne l’est l’homme extérieur ; mais tout cela n’est que le Verbe exprimé qui, en se ressaisissant lui-même (pour parler lui-même), s’est ainsi coagulé et reste coagulé avec les quatre éléments, grâce à l’esprit du désir (ou des étoiles) et pénètre dans une telle existence et vie, de même que le Verbe éternellement parlant accomplit en lui un Mystère (qui est spirituel), lequel Mystère représente la cellule-mère de la nature éternelle, étant donné que le Verbe éternellement parlant s’engendre et crée en lui-même un monde spirituel, de la même manière que nous sommes, dans le Verbe exprimé, un monde matériel. Car je dis que le monde intérieur est le ciel dans lequel habite Dieu et que le monde extérieur est exprimé à partir du monde intérieur et qu’il a une autre origine que le monde intérieur et que pourtant il provient de ce dernier. Il a été exprimé à partir du monde intérieur (par un mouvement du Verbe éternellement parlant), et a été posé entre un commencement et une fin. Et le monde intérieur se trouve dans le Verbe éternellement parlant : le Verbe éternel l’a de toute éternité fait passer en Être — et ceci est un grand Mystère — à partir de sa force, de sa couleur et de sa vertu (grâce à la sagesse) ; lequel être n’est d’ailleurs autre qu’une exhalation du Verbe dans la sagesse, Verbe qui possède en lui-même (pour sa génération) son ressaisissement et avec ce saisissement se coagule également et prend des formes, semblablement à la génération du Verbe éternel ; de même que les forces, couleurs et vertus s’engendrent dans le Verbe (par la sagesse) ou, si je puis m’exprimer ainsi, naissent de la sagesse dans le Verbe. C’est pourquoi aux yeux de Dieu rien n’est près et rien n’est loin, un monde est dans l’autre et tous ne représentent pourtant que le monde unique ; mais l’un est spirituel, l’autre est corporel, de même que l’organisme et l’âme sont l’un dans l’autre, de même qu’également le temps et l’éternité ne sont qu’une seule et même chose, mais avec des commencements différents. Le monde spirituel à l’intérieur a un commencement éternel et l’extérieur un temporel : Chacun a sa naissance en soi ; mais le Verbe éternellement parlant règne partout et ne veut se laisser étreindre ni saisir par le monde spirituel pas plus que par le monde extérieur au point de s’arrêter. Il agit d’éternité en éternité et c’est son produit qui est saisi. Car ce dernier est le Verbe qui a pris forme et le principe agissant est sa vie - donc insaisissable - car il est hors de tout être, il est uniquement une intelligence ou une force qui pénètre dans des êtres. Dans le monde intérieur spirituel le Verbe se saisit pour former un être spirituel qui se présente comme un élément unique dans lequel quatre éléments sont latents. Mais lorsque Dieu en tant que Verbe, a agité cet élément unique, ces propriétés latentes se sont révélées et sont apparues comme les quatre éléments. »

(Jacob Boehme, Mysterium Magnum, II, 7-11).

 

 

 

Extrait d’un entretien avec Jean-Marc Vivenza, intitulé: “Faire naître Dieu en nous, selon Louis-Claude de Saint-Martin. »

Accessible sur la chaîne : Baglistv

 

 

 

« j’ai contemplé le grand abîme de ce monde »

 

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« J’ai regardé moi-même comme le seul véritable ciel ce qui s’étend en une circonférence (…) Mais comme ceci m’a attiré plusieurs chocs violents, … à la fin je suis tombé dans une profonde mélancolie et dans la tristesse, lorsque j’ai contemplé le grand abîme de ce monde. (…) »

Jacob Boehme, l’Aurore Naissante (16), § 19, « Du ciel créé, et de la forme de la terre et de l’eau en outre, de la lumière et des ténèbres. »

13/02/2017

L’expérience de la "sainte Prière"

 

« Le constaJ. Boehme.jpgnt souci de Boehme, tout au long de son existence en ce monde, fut de se demander comment il fallait procéder pour remettre l'homme dans le chemin de retour vers sa véritable nature, comment faire de manière à ce que les créatures puissent enfin retrouver le lien qui les unit et les rattache à la Divinité ?

Afin de guider ses disciples dans cette spirituelle "alchimie cardiaque", Boehme leur indiquera différents moyens, différentes méthodes pratiques et concrètes pouvant nourrir leur vie intérieure. Mais il insistera plus particulièrement sur l'exercice de la "sainte prière", c'est-à-dire la juste et parfaite manière de s'adresser à Dieu et de disposer son esprit au doux entretien.

Pour ce faire, ce qui est peu connu, il écrira, en 1623, une court traité consacré entièrement au sujet, qu'il intitulera De la sainte prière conçue pour tous les jours de la semaine, certes mince de par le nombre de pages qu'il contenait, mais cependant d'un caractère très utile pour les âmes désireuses de progresser dans la voie du perfectionnement. Et ce texte est un réel traité méthodique et pratique.

Il indique dans ce texte, qui préfigure l’attitude de Saint-Martin dans son rejet des "méthodes externes", qu'il n'est « pas besoin d’user beaucoup de paroles, et que l’âme se jette sérieusement entre les bras de la miséricorde de Dieu, de la compassion divine ; car un seul soupir coopère avec Dieu, lorsque la volonté est pure devant lui, et qu’elle a dépouillé l’habit terrestre... » (De la sainte prière conçue pour tous les jours de la semaine, § 36.)

L’ultime secret, par delà la réconciliation et le retour de l’âme à sa coopération avec le divin, sa participation active, dès ici-bas à la vie divine – objet qui est bien celui de toute la perspective effective de la voie initiatique authentique – c’est de faire l’expérience intime, au sein de la nuit de l’esprit, que si Dieu est voilé, caché, c'est qu'en réalité il est dissimulé dans sa génération. C’est ce qu’exprime, traduit par Saint-Martin, ce passage magnifique du premier ouvrage de Boehme : « Dieu est caché dans le centre, dans la génération la plus intérieure » (L'Aurore Naissante, XIX, 65).

Et cette génération la plus intérieure de Dieu, invisiblement, se produit dans le Ciel de l'âme.

Or, la grande vérité ineffable, est la suivante : c’est dans ce Saint Sanctuaire que Dieu naît éternellement ! »  

J.-M. Vivenza, réponse aux lecteurs (19/II/2012)

 

05/05/2015

Boehme, Jacob (1575-1624)


 

Né en 1575 à Alt-Seidenberg, petit hameau situé près du village de Görlitz, Jacob Boehme mérite d'être considéré comme le plus surprenant et le plus profond visionnaire que les temps firent surgir au sein du large et vaste courant de l'ésotérisme chrétien. Tout en lui témoigne de ce mystère qu'il plaça en tant qu'élément central de sa doctrine, colorant la totalité de son œuvre d'une énigmatique opacité que très peu purent véritablement percer. Celui que certains n'hésitèrent pas à baptiser de « Prince des obscurs » ou le « Père de l'Eglise intérieure », a su parler de l'Abîme dans lequel se tient le « Néant éternel » avec une inexplicable science qui force l'admiration. De par ses qualités théoriques, il a d'ailleurs reçu un titre prestigieux que lui a conféré l'histoire, puisqu'il est reconnu, à présent, comme le Philosophicus teutonicus (philosophe teutonique). Il meurt le 17 novembre 1624, après avoir subi, quelques jours plus tôt, un ultime interrogatoire des autorités ecclésiastiques, rejoignant enfin l'Eternel dans son mystère.

Jean-Marc Vivenza, La Clé d'or et autres écrits maçonniques, éditions de l'Astronome (2013)

 

 

08/02/2015

« Où veux-tu aller chercher Dieu ? Ne le cherche que dans ton âme qui est la nature éternelle, dans laquelle est le divin engendrement. » (Jacob Boehme, Confessions, 6, §VII, 16)

« Le vrai Ciel est partout, même dans le lieu où vous êtes et où vous marchez. Lorsque votre esprit atteint la génération la plus intérieure de Dieu, et qu’il y pénètre au-travers de la génération sidérique et charnelle, dès lors il est dans le Ciel. »

(L’Aurore naissante, XIX, 24)

02/02/2014

Une spiritualité de l’anéantissement

 

« C’est à saint Augustin (354-430) que l’on doit, dans les premiers siècles chrétiens, les éléments initiaux d’une spiritualité de l’anéantissement qu’il traduira dans sa célèbre formule : « Noverim Te, …ut despiciam me. » Il faut cependant attendre les rhénans, fortement nourris par la théologie de saint Denys l’Aréopagite, pour assister à un développement significatif de ce thème comme nous le montre Tauler (+1361) lorsqu’il soutiendra, que l’homme n’aura « aucun autre exercice que de considérer son néant, son rien… (de) se connaître lui-même… qu’il ait une profonde humilité, et s’en tienne à ce qu’il a en propre, c’est-à-dire son néant… (afin) que le néant créé s’enfonce dans le néant incréé. » (Sermons, éd. Hugueny, t. II, p. 237).

Le bienheureux Jean Ruysbroeck (1292-1381), quant à lui, fera  allusion à « l’union parfaite, l’unité sans différence qui comporte une sorte d’anéantissement. » (Le livre de la plus haute vérité, c. 12. T. II).

Par la suite saint Jean de la Croix (1543-1591), le docteur de la « nuit active des sens et de l’esprit » qui s’obtient par la considération du « rien » (nada) de la créature et de l’âme, opposé au tout (todo) de Dieu, parlera du passage où « nous anéantissons (aniquilamos) les puissances quant à leurs opérations … » (Subida del Monte Carmelo, I, 3, ch. 2).

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607), carmélite  de Florence béatifiée en 1629 puis canonisée par Alexandre VII en 1669, qui marqua profondément la spiritualité italienne du XVIIe siècle, est elle aussi un bon exemple de cette voie de l’anéantissement dont témoignent ses écrits, et en particulier les récits qu’elle nous laisse de ses saisissantes visions : « Malheur à toi, mon âme, si tu ne renonces pas complètement à toi-même, car, sans ce renoncement, tu seras un objet de haine et de dégoût pour l’enfer même. Et si tu ne te dépouilles de ton amour-propre, tu seras l’abomination, non seulement du Verbe, mais du Démon… Le Verbe s’est complu dans l’anéantissement de son épouse… Oh, qu’elles sont amères, les eaux dans lesquelles je me plonge, quand je considère les années de ma vie si malheureusement employées à vous offenser. Et pourtant je dois m’y plonger et Vous m’y plongerez vous-même, afin de me faire connaître ce que je suis. - Le Verbe m’a jeté au fond de la mer. - Grâce ! grâce Seigneur ; j’aimerais mieux, sans vous offenser, être plongée au fond de l’Enfer. » (Opere di S. Maria Maddalena de’ Pazi dai manoscritti originali, 7 vol. Florence, 1960-1966).

En France, c’est Benoît de Canfield (1562-1610), capucin anglais et principal théoricien de la mystique abstraite et essentielle de l’union à Dieu, qui, dans l’exposé de sa Règle de Perfection (1609), soulignera l’importance de l’anéantissement volontaire : « On ne peut trouver Dieu en soi que par la continuelle perte et l’anéantissement de soi-même. »

Saint François de Sales (1567-1622) fera à son tour référence à la nécessité de « s’être anéanti et dépouillé de soi-même… » (Œuvres, éd. D’Annecy, t. 6, p. 21), et évoquera un degré où la volonté est « non seulement conforme et sujette, mais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu. » (Traité de l’amour de Dieu, I. 9, ch. 13). Puis sa dirigée, sainte Jeanne de Chantal (1572-1641) déclarera : « Il faut graver en nos cœurs ce désir de nous anéantir en tout (…) il faut tout anéantir à l’imitation de l’anéantissement du Fils de Dieu. » (Œuvres, Plon, t. II, 1875, p. 167.)

De même, dans son Palais de l’amour divin (1613), le P. Laurent de Paris (1563-1631), capucin, consacrera un long chapitre au néant de l’homme et étudiera avec attention les « diverses sortes d’anéantissement », ainsi que la cardinal de Bérulle (1575-1629), dans son bref traité de l’Abnégation intérieure, qui soutiendra : « C’est un anéantissement en nous-mêmes qui nous fait participer à celui du Verbe de l’Incarnation. » (Opuscule  CXXXII, col. 1165, c 914).

Enfin, comment ne pas citer Mme Guyon (1648-1717), qui fit de l’anéantissement et de l’annihilation, deux des thèmes majeurs de sa doctrine du « pur amour », montrant que l’anéantissement « est une forme de la prière et du sacrifice » (Moyen Court, ch. XX), et « le dernier degré de la purification passive après la mort et la putréfaction de l’âme » (Torrents, 1re partie, ch. 8). Fénelon (1651-1715), le très subtil archevêque de Cambrai, qui sera profondément marqué par l’influence guyonienne, n’hésitera pas, de son côté, à affirmer dans une de ses lettres de direction spirituelle : « Soyez un vrai rien en tout et partout, mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous ; allez comme Abraham, sans savoir où (…) nulle réserve je vous conjure. » (Correspondance, 1690). »

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(Jean-Marc Vivenza, La Prière du cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe Inconnu, Editions Arma Artis, 2007, p. 24, note 36.)