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02/02/2014

Une spiritualité de l’anéantissement

 

« C’est à saint Augustin (354-430) que l’on doit, dans les premiers siècles chrétiens, les éléments initiaux d’une spiritualité de l’anéantissement qu’il traduira dans sa célèbre formule : « Noverim Te, …ut despiciam me. » Il faut cependant attendre les rhénans, fortement nourris par la théologie de saint Denys l’Aréopagite, pour assister à un développement significatif de ce thème comme nous le montre Tauler (+1361) lorsqu’il soutiendra, que l’homme n’aura « aucun autre exercice que de considérer son néant, son rien… (de) se connaître lui-même… qu’il ait une profonde humilité, et s’en tienne à ce qu’il a en propre, c’est-à-dire son néant… (afin) que le néant créé s’enfonce dans le néant incréé. » (Sermons, éd. Hugueny, t. II, p. 237).

Le bienheureux Jean Ruysbroeck (1292-1381), quant à lui, fera  allusion à « l’union parfaite, l’unité sans différence qui comporte une sorte d’anéantissement. » (Le livre de la plus haute vérité, c. 12. T. II).

Par la suite saint Jean de la Croix (1543-1591), le docteur de la « nuit active des sens et de l’esprit » qui s’obtient par la considération du « rien » (nada) de la créature et de l’âme, opposé au tout (todo) de Dieu, parlera du passage où « nous anéantissons (aniquilamos) les puissances quant à leurs opérations … » (Subida del Monte Carmelo, I, 3, ch. 2).

Sainte Marie-Madeleine de Pazzi (1566-1607), carmélite  de Florence béatifiée en 1629 puis canonisée par Alexandre VII en 1669, qui marqua profondément la spiritualité italienne du XVIIe siècle, est elle aussi un bon exemple de cette voie de l’anéantissement dont témoignent ses écrits, et en particulier les récits qu’elle nous laisse de ses saisissantes visions : « Malheur à toi, mon âme, si tu ne renonces pas complètement à toi-même, car, sans ce renoncement, tu seras un objet de haine et de dégoût pour l’enfer même. Et si tu ne te dépouilles de ton amour-propre, tu seras l’abomination, non seulement du Verbe, mais du Démon… Le Verbe s’est complu dans l’anéantissement de son épouse… Oh, qu’elles sont amères, les eaux dans lesquelles je me plonge, quand je considère les années de ma vie si malheureusement employées à vous offenser. Et pourtant je dois m’y plonger et Vous m’y plongerez vous-même, afin de me faire connaître ce que je suis. - Le Verbe m’a jeté au fond de la mer. - Grâce ! grâce Seigneur ; j’aimerais mieux, sans vous offenser, être plongée au fond de l’Enfer. » (Opere di S. Maria Maddalena de’ Pazi dai manoscritti originali, 7 vol. Florence, 1960-1966).

En France, c’est Benoît de Canfield (1562-1610), capucin anglais et principal théoricien de la mystique abstraite et essentielle de l’union à Dieu, qui, dans l’exposé de sa Règle de Perfection (1609), soulignera l’importance de l’anéantissement volontaire : « On ne peut trouver Dieu en soi que par la continuelle perte et l’anéantissement de soi-même. »

Saint François de Sales (1567-1622) fera à son tour référence à la nécessité de « s’être anéanti et dépouillé de soi-même… » (Œuvres, éd. D’Annecy, t. 6, p. 21), et évoquera un degré où la volonté est « non seulement conforme et sujette, mais toute anéantie en elle-même et convertie en celle de Dieu. » (Traité de l’amour de Dieu, I. 9, ch. 13). Puis sa dirigée, sainte Jeanne de Chantal (1572-1641) déclarera : « Il faut graver en nos cœurs ce désir de nous anéantir en tout (…) il faut tout anéantir à l’imitation de l’anéantissement du Fils de Dieu. » (Œuvres, Plon, t. II, 1875, p. 167.)

De même, dans son Palais de l’amour divin (1613), le P. Laurent de Paris (1563-1631), capucin, consacrera un long chapitre au néant de l’homme et étudiera avec attention les « diverses sortes d’anéantissement », ainsi que la cardinal de Bérulle (1575-1629), dans son bref traité de l’Abnégation intérieure, qui soutiendra : « C’est un anéantissement en nous-mêmes qui nous fait participer à celui du Verbe de l’Incarnation. » (Opuscule  CXXXII, col. 1165, c 914).

Enfin, comment ne pas citer Mme Guyon (1648-1717), qui fit de l’anéantissement et de l’annihilation, deux des thèmes majeurs de sa doctrine du « pur amour », montrant que l’anéantissement « est une forme de la prière et du sacrifice » (Moyen Court, ch. XX), et « le dernier degré de la purification passive après la mort et la putréfaction de l’âme » (Torrents, 1re partie, ch. 8). Fénelon (1651-1715), le très subtil archevêque de Cambrai, qui sera profondément marqué par l’influence guyonienne, n’hésitera pas, de son côté, à affirmer dans une de ses lettres de direction spirituelle : « Soyez un vrai rien en tout et partout, mais il ne faut rien ajouter à ce pur rien. C’est sur le rien qu’il n’y a aucune prise. Il ne peut rien perdre. Le vrai rien ne résiste jamais et il n’a point un moi dont il s’occupe. Soyez donc rien, et rien au-delà ; et vous serez tout sans songer à l’être. Souffrez en paix ; abandonnez-vous ; allez comme Abraham, sans savoir où (…) nulle réserve je vous conjure. » (Correspondance, 1690). »

La Prière du cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin.jpg

 

 

(Jean-Marc Vivenza, La Prière du cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe Inconnu, Editions Arma Artis, 2007, p. 24, note 36.)